L’énigme des documents de la Trentaine d’Issoire

On a vu précédemment que Fernand RIBAUD revendiquait dans sa déposition pour le rapport d’Albert GRÉGOIRE la destruction des documents au moment de l’évacuation précipitée du hameau.

Étant seul dans la cuisine, je suis sorti au bout d’un petit moment et j’ai aperçu devant moi à 70m environ un char qui montait la côte. Je suis alors parti en courant à travers le grand pré où j’ai rejoint les six copains (2) qui étaient en position de tir, cachés dans le champ de seigle. Arrivé à coté d’Yvon, il me dit :

« As-tu pris la sacoche qui est sur la table où il y a toutes les archives et les comptes ? »

José CLÉMENTE

(Buffalo)

né en 1920

in DELQUAIRE et al., pages 153 et 162

Déjà décoré de la Médaille Militaire le 13 décembre 1938, Fernand RIBAUD se voit donc attribuer la Croix de Guerre avec étoile de bronze le 31 mars 1947, d’autant que son activité dans la Résistance ne s’est pas arrêtée le 2 juillet 1944. La citation à l’Ordre du Régiment qui l’accompagne retient 3 motifs, dont le 2e nous interpelle :

Le lieutenant Fernand RIBAUD (Fernandez) avait épousé la carrière de militaire après s’être engagé volontairement en septembre 1918 à 18 ans. N’ayant pas accepté la capitulation, c’est un résistant de la première heure (juillet 1940). Il est arrêté sur dénonciation et condamné en 1942 à 2 ans de prison avec sursis et 6.000 Francs d’amende pour avoir dissimulé du matériel destiné aux Allemands qu’il redistribuait à la Résistance (le jugement sera annulé). Membre du réseau SUSSEX Groupe M-4, il passe à la clandestinité et rejoint la Trentaine d’Issoire le 16 mai 1944 comme adjoint du capitaine CHAUVEAU. En représailles de son activité, son épouse est arrêtée le 24 juin 1944 comme otage et sauvée in extremis de l’exécution ou de la déportation en même temps que 113 autres prisonniers lors d’une opération de haut vol montée par Jean BAC (Lenoir) le 13 août 1944.

© SHD GR-16P-508450

Calme et courageux, s’est particulièrement distingué le 2 juillet 1944 aux combats du hameau de PARY (Puy-de-Dôme), après avoir détruit tout le matériel utilisable par l’adversaire, sauvé les archives, tenu en respect avec quelques hommes un détachement ennemi important, permettant ainsi l’évacuation du Maquis avec un minimum de pertes.

  • “Tenu en respect avec quelques hommes un détachement ennemi important” : aucun des témoignages disponibles des acteurs ou des témoins de ce jour tragique ne fait état de Fernand RIBAUD dans le combat contre l’ennemi.

  • “Détruit tout le matériel utilisable par l’adversaire” : aucun des témoignages disponibles des acteurs ou des témoins de ce jour tragique ne fait état de la destruction des véhicules et des armes abandonnés par la Trentaine. Compte tenu de la précipitation de l’évacuation, cela aurait demandé d’incendier ou de faire sauter la grange où étaient parqués les véhicules après y avoir regroupé toutes les armes. Or les témoignages sont formels : aucun bâtiment n’a été endommagé, même pas par les Allemands.

  • “Sauvé les archives” : dans sa déposition du 11 octobre 1944 pour le rapport d’Albert GRÉGOIRE, Fernand RIBAUD revendique la destruction des documents au moment de l’évacuation précipitée du hameau. Alors, sauvées ou détruites ? À moins que ce ne soit “sauvé les archives … de leur capture par l’ennemi en les détruisant”… ?

De par ses nombreuses responsabilités successives tout au long du conflit comme commandant de parcs ou de dépôts dont il a détourné d'importants stocks, puis comme adjoint des commandants dans les états major de la Résistance, Fernand RIBAUD avait démontré des qualités d’organisateur fort utiles à la Résistance. Ceci correspond d'ailleurs au 1er motif retenu dans la citation en vue de l'attribution de la Croix de Guerre, qui ne relève donc pas de combats mais essentiellement de Résistance.

Néanmoins, la Médaille de la Résistance lui sera refusée ; il s’en plaint amèrement :

J’ai appris par mon ancien Chef du Maquis du Puy-de-Dôme, le Commandant BURET (Commandant René), que j’avais été proposé pour recevoir la Médaille de la Résistance. Renseignements pris, cette dernière m’a été refusée, sans doute parce que j’étais trop ancien. Elle a été attribuée sans difficulté à beaucoup de résistants de SEPTEMBRE 1944. (1)

© SHD GR-16P-508450

(1): "SEPTEMBRE" volontairement en lettres capitales et soulignées.

Fernand RIBAUD

(Fernandez)

11-06-1900

« As-tu pris la sacoche ? »

Sans réfléchir, je suis aussitôt reparti à travers le grand pré pour aller chercher cette fameuse sacoche qui contenait le nom de tous les maquisards et l’adresse de leurs familles. Alors que les Boches me tiraient dessus, je suis parti avec la sacoche dans la grande descente tantôt sur le dos, tantôt sur la tête pour rejoindre la petite rivière. J’ai eu vraiment de la chance car j’avais toujours la sacoche de grenades à ma ceinture, la mitraillette … Cette sacoche a été remise par la suite aux autorités.

Résistants de SEPTEMBRE 1944

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C'est ce que semble corroborer José CLÉMENTE (Buffalo), à l’époque jeune membre de la Trentaine d’Issoire. Dans un témoignage plein d'humilité lu en hommage à ses camarades lors de la cérémonie du 1er juillet 2002, il déclare :

Dans sa déclaration en vue du 50ème anniversaire (datée du 10-04-1994, in La Trentaine d'Issoire), Roger THÉVENIN nous donne un autre éclairage, attribuant à la Dizaine de sécurité une mission supplémentaire à la seule protection du repli de la Trentaine, mission déjà bien lourde à assumer. Il déclare : « Yvon a pris position au-dessus du village, afin de protéger l'évacuation des archives. »

(2): On sait qu'ils étaient 7 après le départ de THÉVENIN, PATURET et TIXIER. D'ailleurs José CLÉMENTE liste lui-même 7 noms, même s'il se trompe sur l'un d'eux. Il énumère THÉVENIN (au lieu de PAGURA), DALLANT, MARRET, GRANET, "CAMPBELL et son copain américain ou canadien" en plus de LAMOURDEDIEU.

José CLÉMENTE n'en tire pas gloire, seulement fierté :

« On avait tous une bonne organisation, le capitaine CHAUVEAU, adjudant RIBAUD, et le capitaine GARNAVOT, pour mon compte personnel. C'était vraiment bien organisé par ces 3 hommes, principalement par mon grand copain Albert GARNAVOT. »

« Ce n'est pas pour me vanter, c'est seulement la vérité... À l'heure actuelle, je suis content d'avoir accompli ce geste »

Et de conclure, en toute bonté :