Crimes de guerre ?

En possession de peu de moyens, ils se sont défendus comme des lions, et ceux qui ne sont pas partis au dernier moment étaient, entre autres, CAMPBELL, MARRET et LAMOURDEDIEU. Il [CAMPBELL] avait été repéré par les Allemands car, avec sa mitraillette, il a fait grand ravage parmi eux. Il a été seulement blessé dans le cou où il portait un grand trou. Mais les Allemands avec leur indicible brutalité l’ont achevé à coups de bottes, etc. Il était méconnaissable, les membres raidis et la tête séparée du corps. Sa tête a été ramassée en trois parties.

Sa tête a été ramassée en trois parties

 

         : La Dizaine de Sécurité s'était repliée pour son ultime combat à 200m du village,              sur le talus en bordure du champ de seigle.

         : Vraisemblablement à 200m de là, François KOPRIVA (Ortie) est retenu prison-              nier dans un camion de transport de troupe.

On a vu précédemment ("Les prémices de l’attaque") que François KOPRIVA (Ortie), arrêté la veille de l'attaque près de Condat, était retenu prisonnier dans un véhicule de la colonne allemande lors de l’attaque du Petit-Parry.

La topographie des lieux au Petit-Parry, faits d'une unique voie de circulation se transformant dès la dernière maison en un chemin de terre, n'autorise pas le passage d'engins volumineux ni ne permet de manœuvres aisées. Par ailleurs, dans l’engagement d’un combat, il est raisonnable de penser que seuls les véhicules d’attaque (automitrailleuses, chars (1) ...) sont engagés, au contraire des véhicules de transport de troupe qui restent en stationnement à l’écart. Aussi, tout porte à croire que KOPRIVA se trouve dans un véhicule stationné sur l'I.C. 27        pendant les combats, donc en contrebas à près de 200 m (2) du lieu où se sont repliés LAMOURDEDIEU et ses compagnons        , ce qui facilite ni l'observation ni l'écoute.

François KOPRIVA

(Ortie)

11-07-1915

AD63 - Rapport 1333 (cote 908W135)

J’ai bien vu lorsque les Allemands ont pénétré dans le champ de blé et rapporté deux hommes qu’ils ont déshabillés et examinés. De la voiture où je me trouvais, j’ai pu voir que ces deux hommes n’étaient pas morts car ils se plaignaient. Ce que je puis affirmer, c’est qu’il n’y avait que deux hommes blessés et non trois.

Je ne puis préciser non plus si ces hommes ont été achevés après avoir été blessés.

Ces deux hommes n’étaient pas morts

car ils se plaignaient

(1) : Même s'il a été débarqué de sa plateforme de transport, on sait que l’unique char de la colonne est resté au carrefour de la Croix Maubert.

(2) : Le schéma ci-dessus ne représente pas fidèlement la topographie des lieux car ne tient pas compte de la forte pente du terrain.

Témoignage de François KOPRIVA (Ortie)

À l'issue des combats, pouvait-on donc disposer d'une attention soutenue pour distinguer les soldats sortir deux corps du champ dans la confusion qui devait régner et d'un silence ... de mort pour les entendre se plaindre, ce qui suppose l'extinction des moteurs de tous les véhicules et aucune parole ou ordre crié de la part des Alemands. Donc ? Les Allemands n'ont-ils sorti que 2 blessés du champ ou bien 3 ? Étaient-ils déjà morts ou pouvaient-ils encore se plaindre ? On comprendra que ce témoignage, bien qu'intéressant, n'emporte pas une totale conviction.

Témoignage de Lucienne X

Après avoir rencontré le matin même Mme Suzanne MARRET-FARGEIX, mère de Claude, une certaine Lucienne X (patronyme inconnu) adresse à George Y (patronyme inconnu), proche parent de Garnet P. COLUMBUS (qui était déjà venu dans la région à la recherche de COLUMBUS, dont on était sans nouvelles), une lettre d'une grande expressivité datée du 30 avril 1945 à Brassac (commune de Roche-Charles), dans laquelle elle retrace les derniers moments du combat selon les témoignages qu’elle a pu recueillir. Cette lettre est centrée sur Herbert A. CAMPBELL car Lucienne X cherche par tous les moyens à donner des renseignements à la famille de CAMPBELL ("ils seraient, je crois, infiniment reconnaissants à la personne qui pourrait leur dire quelque chose de leur cher disparu.") et compte sur George, en tant qu’Américain du Nord, pour servir d’intermédiaire, tout en le priant expressément à plusieurs reprises de ne pas divulguer tous les détails qu’elle lui donne ("Je vous en prie, George, épargnez ces horribles détails à sa famille.").

Créé à titre temporaire par l'ordonnance du 14 octobre 1944 et faisant suite à plusieurs instances provisoires, le Service de Recherche des Crimes de Guerre Ennemis (S.R.C.G.E.) fut organisé par décret du 6 décembre 1944, suite concrète d'une démarche interalliée initiée dès 1941 et dont la contribution la plus connue fut d'alimenter les procès de Nuremberg. Ce service, dirigé par le colonel Paul CHAUVEAU (triste homonymie), compta jusqu'à 300 collaborateurs et fut actif jusqu'à fin 1948.

Selon le témoignage direct d'André GRANET, trois maquisards sont donc mortellement blessés à l'issue des combats : Herbert A. CAMPBELL (Herbie), Paul DALLANT et Claude MARRET (Paul). Qu'advient-il alors de leur sort pour que leur décès soit en fin de compte constaté, puisque tel a été leur destin ?

J’ai vu la personne qui l’a relevé et qui l’a mis dans un cercueil : Monsieur FLAT Michel. Le 7 octobre, ces 3 jeunes gens ont été enterrés à Issoire.

Lucienne X

habitante de Brassac

© Claude GRIMAUD / famille HEWITT

Tous les effets personnels de CAMPBELL avait été remis à la mairie d’Issoire. M. FLAT m’a dit qu’un officier américain était venu les retirer, probablement pour en faire retour à sa famille. Cet officier ne voulait pas croire combien CAMPBELL avait été mutilé. M. FLAT s’est alors offert à le lui montrer au cimetière ; alors seulement il a cru sur paroles les dires de M. FLAT.

Paul DALLANT n'apparaît à aucun moment dans le récit de Lucette. Or les trois victimes du 2 juillet 1944 qui ont été enterrées une première fois sur la commune de Roche-Charles sont bien CAMPBELL, MARRET et DALLANT, dont les dépouilles ont été transférées après la Libération en vue de leur inhumation au cimetière d'Issoire le 7 octobre 1944 (Paul DALLANT sera à nouveau transféré dès le lendemain, Herbert A. CAMPBELL ultérieurement). Yves LAMOURDEDIEU ne pouvait en aucun cas être concerné par cette cérémonie du 7 octobre 1944 puisque sa dépouille ne sera retrouvée que fin novembre.

L'enquête du Service de Recherche des Crimes de Guerre Ennemis

Albert GRÉGOIRE, délégué régional du SRCGE pour la région de Clermont-Ferrand, est donc en charge d'enquêter (entre autres) sur les évènements du 2 juillet 1944 et en particulier sur les circonstances du décès de Claude MARRET : est-il mort au combat ou a-t-il été victime d'un crime de guerre ?

Cette confusion est d'autant plus surprenante que Lucette écrit dans son courrier qu'elle vient de rencontrer le matin même Mme MARRET-FARGEIX et a discuté au téléphone avec la mère d'Yves LAMOURDEDIEU, toutes deux parfaitement informées de l'identité des victimes. On comprendra que ce témoignage, bien qu'intéressant, n'emporte pas une totale conviction.

Témoignage de Robert CHAUVEAU (Ringan)

Dans son récit du 15 décembre 1946, Rémy RICHARD (Dick) rapporte les paroles du capitaine CHAUVEAU qu'il a eu la surprise de voir arriver au soir du 4 juillet 1944 dans un buron près de Montcineyre où Rémy soigne ses blessures aux pieds après 2 jours d'errance pour échapper aux Allemands et tenter de rejoindre la Trentaine de Besse.

Ils ont achevé à coups de bottes les deux blessés

Mais dans la soirée, quel n’est pas mon étonnement de voir apparaître le capitaine CHAUVEAU. Il s’en est tiré lui aussi et vient tranquillement "aux renseignements" à Montcineyre plutôt que d’aller chercher ceux-ci sur place.

Rémy RICHARD

(Dick)

22-10-1922

© SHD GR-16P-509822

L'histoire du maquis du "Petit Parry", in La Trentaine d'Issoire

On ne sait pas de qui CHAUVEAU tient ses informations. Entre son arrivée "dans la soirée" auprès de Rémy RICHARD et leur départ la nuit, il s'est absenté ; a-t-il eu le temps de faire un aller-retour au Petit-Parry où il aurait questionné les villageois ? Ceux-ci avaient-ils pu voir quelque chose des combats ou interroger les prisonniers pour avoir des détails ? C'est peu probable. CHAUVEAU a-t-il rencontré en chemin quelqu'un qui lui aurait donné ces informations ? Autant d'hypothèses impossibles à démêler mais la séquence des ultimes moments du combat est plausible : 1 - MARRET blessé, 2 - DALLANT tué en lui portant secours, 3 - CAMPBELL mis hors d'état de nuire.

Dans un courrier daté du 26 mars 1945 adressé au Commissaire de la République, M. COUSSERAN (inspecteur régional aux Mouvements de Jeunesse et à l'Éducation Populaire à Clermont-Ferrand) affirme que l'interprète d'un certain Major SCHWAP "a tué à bout portant d'un coup de revolver le fils MARRET-FARGEIX d'Issoire à Vodable au début de juillet 1944, alors que ce jeune homme de 20 ans était à ses côtés, sans défense."

Malheureusement, M. COUSSERAN n'apporte aucun élément de preuve à sa déclaration ni ne cite ses sources. De plus, ce témoignage vient en contradiction avec les dépositions sous serment des habitants du Petit-Parry, que ce soit celles des frères MARCHADIER (en des termes très semblables) ou celle d'Antoine ROCHE (maire de Roche-Charles) datée du 1er octobre 1944 :

C'est moi qui ai effectué la fouille

AD63 - Rapport 1333 (cote 908W135)

Après un échange de coups de feu, MARRET, DALLANT et CAMPBELL (3) y ont trouvé une mort glorieuse. C'est moi qui, en présence de témoins, ai effectué la fouille. Sur l'un des cadavres, j'ai trouvé des pièces d'identité au nom de MARRET Claude ... ; sur le deuxième, j'ai trouvé des pièces d'identité au nom de DALLANT Paul ... Ces deux hommes sont de nationalité française. Quant au troisième cadavre, je crois qu'il s'agit de celui d'un homme pouvant être de nationalité américaine, âgé d'une vingtaine d'années. Je n'ai découvert sur le cadavre aucun papier ; par contre, j'ai trouvé sur lui deux plaques d'identité portant les inscriptions suivantes :

Antoine ROCHE

né en 1896, cultivateur

Maire de Roche-Charles

Par une note datée du 25 juin 1945, le maire de Vodable, M. ANGLADE, confirme implicitement le témoignage de son collègue Antoine ROCHE, même si l'expression utilisée "aucun crime de guerre n'a été commis sur le territoire de ma commune" ne renseigne pas sur une mort qui n'aurait pas été étiquetée comme tel.

Maurice MARCHADIER

né en 1900, cultivateur

AD63 - Rapport 1333 (cote 908W135)

Je devais les enterrer

Vers 8 heures, le même officier cité plus haut est venu me prévenir que ses soldats avaient tué trois hommes du maquis, qu'ils étaient dans le chemin creux au nord du village et que je devais les enterrer.

« Vous autres, vous allez les enterrer »

Vers 8 heures du matin, un officier allemand m'a prévenu que ses soldats avaient tué trois hommes du maquis et que les cadavres étaient restés sur place, sur un petit chemin de terre, à 200m du village coté ouest. Il m'a dit :

AD63 - Rapport 1333 (cote 908W135)

Marcel MARCHADIER

11-10-1900, cantonnier

« Vous autres, vous allez les enterrer »

Après le départ des Allemands, je me suis rendu sur les lieux et j'ai alors reconnu les nommés : MARRET Claude, DALLANT Paul et un sujet américain du nom de Herbert CAMPBELL (3). Je connaissais particulièrement ces trois hommes car depuis le jour où ils étaient venus cantonner au Petit-Parry (vers le 15 juin 1944), ils venaient presque journelle-ment chez moi.

Herbert A. CAMPBELL, 11122559-T43-3-2, Lincoln CAMPBELL Five Islands, ME.C.

Des différents témoignages disponibles, il ressort avec une quasi-certitude que c'est Paul DALLANT qui a succombé le premier, en portant secours à Claude MARRET qui venait d'être blessé (4). Puis c'est au tour d'Herbert A. CAMPBELL d'être grièvement blessé. En parallèle, Yves LAMOURDEDIEU est également blessé à deux reprises. Il ne reste donc plus que trois combattants valides sur les sept de l'engagement final. Le combat s'arrête. COLUMBUS, GRANET, LAMOURDEDIEU et PAGURA se rendent. Les Allemands pénètrent dans le champ mais n'en sortent que deux combattants ; s'ils n'en sortent pas trois d'emblée, c'est bien parce qu'ils ont constaté la mort du troisième (DALLANT). On peut donc considérer a contrario que CAMPBELL et MARRET ont été sortis du champ les premiers parce qu'ils n'étaient pas morts. Ont-ils alors rapidement succombé à leurs blessures ou ont-ils été assassinés ?

(3) : L'orthographe des patronymes, parfois fantaisiste dans les témoignages, a été rétablie.

(4) : Indépendamment de l'amitié et de la solidarité qui unissaient les maquisards, Paul DALLANT remplissait aussi les fonctions d'infirmier au sein de la Trentaine.

(5) : François PAGURA était originaire de l'est de la France. Aucun document dans le dossier d'enquète n'atteste qu'il ait été recherché pour témoigner.

Aucun des trois témoignages ci-dessus ne fait état de traces d'exactions qui auraient été commises sur les dépouilles. On sait que s'acharner sur les dépouilles des maquisards tués pour les rendre méconnaissables était une pratique systématique des troupes allemandes, fait que ne notent peut-être pas les témoins dans le cas présent parce qu'ils sont habitués à ce triste spectacle. Même si Marcel MARCHADIER utilise la formule « J'ai alors reconnu », il est possible de reconnaître quelqu'un sur une particularité vestimentaire, un bijou ..., surtout lorsqu'on voit ces personnes "presque journellement", selon son expression.

Conclusion : crime de guerre ou non ?

Faute d'éléments tangibles, Albert GRÉGOIRE clôt donc son enquète et rend son rapport le 11 décembre 1945 sans pouvoir conclure au crime de guerre. Mais on peut regretter trois points :

Ces trois points auraient certainement pu infléchir l'enquète et conduire à une conclusion différente même si, en définitive, les officiers allemands suspectés d'être impliqués dans l'attaque du Petit-Parry n'ont pu être localisés dans les camps de prisonniers et n'ont donc pas pu rendre des comptes.

Point ultime, s'il avait été caractérisé, le crime de guerre aurait alors concerné Claude MARRET et Herbert A. CAMPBELL, et non Claude MARRET tout seul.

  • André GRANET, pourtant témoin capital puisque retenu prisonnier sur place plusieurs heures, n'est appelé à témoigner que le 13 novembre 1945 (à peine un mois donc avant la clôture de l'enquète), ce qu'il fait par une déclaration écrite. Il n'a donc pas été clairement interrogé sur les circonstances exactes de la mort de CAMPBELL et de MARRET.

  • François PAGURA était lui aussi retenu sur place et aurait donc été un autre témoin capital. Faute d'avoir été localisé après guerre (5) , il n'a jamais été invité à témoigner.

  • Albert GRÉGOIRE n'a pas eu connaissance des témoignages de Lucienne X et de Michel FLAT.

Après quelques instants, de marche silencieuse, le capitaine parle. Il a des nouvelles, ayant eu des renseignements sur le Petit-Parry. Le combat a été bref mais acharné. Claude MARRET a été blessé tout d’abord ; Paul DALLANT qui lui portait secours, fut tué ; des deux aviateurs que nous avions recueillis, l’Américain a été blessé puis les Allemands ont foncé ; ils ont achevé à coups de bottes les deux blessés et fait prisonniers Criss, le Canadien, PAGURA, GRANET et, enfin, Yvon qui venait d’être blessé deux fois durant le combat.

[Plus tard dans la journée]